N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

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Au mois d’octobre 2021, avenue Duquesnes dans le 7^ème arrondissement de Paris, j’ai croisé une manif « anti-Covid » organisée par Florian Philippot. Je ne me suis pas mélangée aux manifestants, il ne faut pas exagérer, j’ai même eu un mouvement de recul quand j’ai vu les drapeaux bleu blanc rouge, et quand j’ai entendu le nom du dirigeant, mais cela m’a soulagée de voir des gens sans masques, qui ne se laissaient pas entuber par la version officielle du Covid. « Oui, oui, d’accord, il y a des tas de trucs qui clochent, on nous ment manifestement, mais pardonnez-moi, je ne suis pas dans votre camp ». J’ai discuté avec une manifestante qui m’a soutenu que le clivage droite/gauche n’était plus opérant concernant la pandémie. J’y tiens encore, la gauche est ma famille, je suis sidérée par son silence, et pire, sa complicité, on m’apprend il y a peu que le groupe des sénateurs PS a proposé un amendement qui défend la vaccination obligatoire. Je tombe de très haut. J’ai des sueurs froides. Je me demande si Marguerite Duras aurait présenté son passe sanitaire pour aller au resto rue Saint Benoît avec Mitterrand, je passe en revue les écrivains, les poètes, qui ont compté pour moi. Breton, Camus, Duras, Annie Ernaux… C’est grotesque, ils élèveraient la voix, ils nous protègeraient d’une telle infamie (oui, « infamie » avec l’accent cornélien !).

Quelques mois plus tard, j’ai vu les gens faire la queue à la Closerie des Lilas et présenter sagement leur QR code à l’entrée, pour avoir le droit de trôner sur une chaise, manger des huîtres et boire du vin blanc sec. J’ai ressenti de la honte, de la gêne. Où sont les écrivains chics, Sollers et sa « France moisie », sa « moraline », Houellebecq et son fiel anti-capitaliste, Onfray et son université populaire, tous vaccinés, tous du bon côté, tous dilués dans la globalisation ? Je tombe de haut. A mes yeux, les artistes, les écrivains, les poètes étaient des éclaireurs, des garde-fous, des funambules. Je découvre l’ampleur de la courtisanerie, de l’entre-soi, des intrigues, des copinages. Le silence presque total. Tristesse quand je pense aux vaccinés, QRcodés et scannés, impatients de reprendre « la-vie-d’avant-le-confinement ». « Business as usual ». Mon colloque, mon séminaire, mon marché de la poésie, mon salon du livre, ma résidence d’écriture. No problemo.

Quand je vivais avec ma mère, mon chat, mes salamandres, mes souris blanches, dans un HLM qui donnait sur les voies ferrées, Porte d’Asnières, je rêvais d’être libre, et cela signifiait faire partie du monde des artistes. Je les guettais à la radio, au Grand échiquier de Jacques Chancel (on venait d’avoir la télé, j’avais 14 ans), je ne savais pas, alors, que les artistes pouvaient être des courtisans, des fonctionnaires, des traîtres, des silencieux, qui surveillent leur carrière, leurs arrières, on devrait se débrouiller autrement, décrocher les étoiles, vouloir la lune, « anywhere out of the world », « c’est la mer allée avec le soleil », « les pas que je ne fais pas et qui sont deux fois des pas », « dans ma maison vous viendrez, d’ailleurs ce n’est pas ma maison, je ne sais pas à qui elle est », « ce pays est un rêve où rêvent mes saisons », je vous en supplie, n’éteignez pas les paroles, n’éteignez pas les étoiles.

Amina Danton, romancière.

amina danton