La Grande Zaza de la Paix qu’on lisait dans l’herbe - Éric Perruchot

Publié le 1 Février 2022

La Grande Zaza de la Paix qu’on lisait dans l’herbe

 

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CHANT 1

… ci-joint derniers chants commis sur table, début juin 21, terrasse Carnot, Beaune, avant stylos médusés d’Ausweis. Film manu-militari, en « guerre » où nous serions. Pourquoi pas La Grande Vadrouille? Les tuiles vernissées de l’Hôtel-Dieu, juste à côté. Au-delà de tous gestes, écrits ou non écrits, j’ai vu de la terrasse voir tout se transformer en citrouilles, cornettes et rires au final. Et puis rien : p’tites cuillères récurant un fond de sucre à l’heure du glaçon, tasses carressucées, creux codées. Il peut paraître dérisoire ce dernier p’ti noir métonymique. Dans le film de Oury, il est le seau de peinture blanche qui se renverse de l’échafaudage : et voilà Bourvil sifflotant aux Bains Douches. Toujours ça de gagné sur le vert-de-gris, la rouille et les tuiles aux pointes Bic rétractées.


CHANT 2

J’avais pourtant mis de côté une belle planche de salut, un madrier de 115 sur lequel repose au moins 500 kilos de livres et des clous, marteaux, scies, pelles et pioches – pensai-je – pour nous sortir du Labyrinthe. J’ai déjà repéré les rangées de vis qui tiennent les résines polymères. En latin commercial : Plexiglas. Guetter l’instant propice comme l’Icare du bon Verneuil, faire poisson d’aquarium, bras à la place des algues. Au portable, smiley kidi Chiche ! Au moment opportun, vol libre au-dessus des tasses de café. Sauter à pieds joints par dessus les plantes vertes. En une enjambée la pleine rue, samedi dès 14 heures, pancartes et sifflets à la bouche. On jouera à Chagall. La Grande Zaza de la Paix qu’on avait pour soi dans l’herbe en abandonne son bouquin, bâillonnette sur le nez. C’est Le Rire Jaune de Pierre Mac Orlan qu’elle me tend, d’une édition A. Méricant, printemps 14, Paris. Ça cause d’une épidémie mortelle de rires. On tuait les clowns pour arrêter ça et les poètes, lèvres arrachées. Couverture peinte, l’illustre Gus Bofa a déjanté toute une famille de morts-riants pour fêter ça. Ce que ça va être, en prévalence !


CHANT 3

Des croquis d’évasion, j’en ai plein la bibliothèque, en juste équilibre sur deux planches. À s’en faire une aile et survoler l’hébétude. Défoncer aussi l’édredon à plumes. Se les coller dessus et tendre les bras, pas pour de rire. Au moment de l’envol, ce sont elles qui induisent le déplacement d’air. Ça se calcule en kilogrammes par mètre cube. « Penser, calculer, agir », sur les pancartes, jupes de Grande Zaza de la Paix aux fenêtres. Par dessus, de la musique en boucle : « The plane is ready… », aucun vent ne pouvant la retenir. « Va falloir qu’il arrête ceux-là ! », qu’ils tapent aux carreaux, les voisins en essuie-glace, prêt à tout maintenant que nous sommes en cages. J’imaginais ça à la table de bistrot qu’on me presse de quitter, sans haine ni cailloux. « Désolé, vous savez pourquoi ? », chewing-gum sur les joues. Je lâche un nom de code : « Le Navire russe, des fois ? ». Pour être libre, faut-il que je me charcute ? Rien n’y fait. Zaza pique du nez dans La Peste écarlate, de Jack London. « Ça parle d’une épidémie d’avant… et, seulement en 2073, espérer politiquement un monde d’après… » S’y croirait-on déjà, potron-minet.


CHANT 4

L’aile se soulève dans un « Whaououou! » jamais sorti de la bouche, un cri autrement plus lourd que l’air. Vous trouverez toutes les images sur YouTube : vent préhistorique dans les voiles. Un jour des ailes vont sortir des épaules, c’est sûr, maintenant que nous sommes tous comme des oiseaux blessés. Avant d’en arriver-là, débiter la planche, alléger un maximum la machine. Le jus blond du rabot, le voir s’écouler. La scie sauteuse : des petites cuillères plantées dans un bouchon, tournicoti tournicoton. Vous verrez, c’est drôle, maintenant qu’une bête à filtration d’air remugle sous les visages. Icare a l’air de s’y connaître. Je tourne ça en Minotaure. Si je me souviens bien, tracer une fenêtre au milieu du mur et, à travers elle, tout espérer du dehors. Aucun lieu n’est opposable, sur les panneaux, 14 heures, dans les rues. S’il faut, embarquer sur une coque de noix à foc crétois : des allumettes. Et dans la mer de fumée qui pique, le canot, au-delà de la coursive, je l’aurais lancé. Rincer les yeux qui piquent. Il n’y a pas de camps de prisonniers sans évasion. C’est dans La Grande illusion, le capitaine de Boëldieu. À l’envie en haut des murailles, ce peut être un ticket de manège avec pompons à décrocher. Ou simplement comme chez Zaza, « Une table, l’encre et les plumes comme accessoires, du papier, un lit blanc pour les moments où l’on rêve ni debout, ni sur sa chaise ». C’est une citation de Mallarmé à laisser grelotter au réveil. Écrire fait creuser des tunnels.

– La puce 5G ? Tu n’y es pas, Zaza !

Elle prévient : « Room 101, the torture chamber », le temps de soutirer Orwell de la pile. Et puis Macbeth, qu’elle brandit dans la camisole où nous sommes. Elle imite bien les trois sorcières : « Quand nous retrouverons-nous ? Dans l’éclair, la foudre ou la pluie ? A la fin du tohu-bohu ? ».



CHANT 5

Quand la lumière revient – c’est à dire, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre – la rue est encore derrière les rideaux. Par exemple, on ne soupçonne pas la surface portante d’un 12m2 avec vue sur courette. Et je ne mets pas de côté la question des calicots pour faire avancer la cause, apaisés que nous sommes de poésie. On pancartera toute la nuit, les lettres sine die aux crayons feutre, amputées de langue. De toute façon, depuis que les terrasses sont interdites, je caillasse les pigeons pour leur faire voir que je ne joue plus. Je les observe s’envoler comme des rameurs entre chaises et tables où ça causait. Zaza, les oreilles mordues par son élastique. On se tapait la jacasse ensemble : un apéro live au ciel inespéré des autres. De toute façon, à ce rythme, nous serons tôt ou tard confrontés aux casques par lesquels s’attestent les luttes. Dans le PAN & PAN et là encore, ce n’est pas sans danger : à cause du double mouvement des foules aussi peu convaincantes que neige au soleil, etc. jusqu’à point d’heure entre les draps. Sous le lit, elle retire Le Virus 34, comme une souris par la queue. « Attaque virale cette fois sur les blés : c’est la fin des haricots… », par Jean d’Agraives, 1930, jaquette illustrée par Bruhier.


CHANT 6

À travers le store, on enfile maintenant les yeux comme un navire dans une bouteille. Je vois que la moto est encore sur le parking, les clefs de contact à pas lents dans la poche. Reprendre la main libre perdue. Au saut du lit : ensemble, n’est-ce pas ? Ne pas refaire le coup d’Icare, thermostat 10. Patientes évasions. Dans l’insolent mouroir de la bibliothèque, il ne manque plus que l’heure. Se méfier aussi des caméras à reconnaissance faciale, mystères et boules de gomme. On bourre de livres un plein sac à dos. Pas des soucoupes volantes dedans mais des pensées magiques, libres et drôles à mourir : « L’inquiet », par exemple, éditions Émile-Paul Frères, 1932. Elle m’en lit trois lignes, fantastique nouvelle de Jean Mistler, son fou-fou Clifton, docteur en microbes qui sait pourquoi les dinosaures et les hommes. Et celle-là : « Pastorale » de Marcel Aymé dans un vieux recueil à couverture jaune, Le Puits aux Images. Dans une démocrature, la populace décimée par virus et vaccins obligatoires… Même les p’tites fleurs aux tendretés naturelles sont interdites, même un possible dieu dans les arbres. « Dès qu’y a plus de paroles, y a bien plus que la mort », qu’elle chantonne la Douce, tentée par le haut ciel, peut être même par le dégoût. « N’a pu ! », qu’elle dit à la fin, il n’y a que les enfants pour trouver ça. Et les gens, par surcharges électromagnétiques dans l’atmosphère, se volatilisent littéralement…, au dernier poème qu’elle me file : Le Napus, savamment dosé par Daudet, Léon, son comique chaos éraflé sur le nez.



Éric Perruchot, poète et reporter.

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